Les seigneurs de Louvie (1407-1963)

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Et pourquoi Louvie-Soubiron attendit 556 ans pour devenir propriétaire de son propre territoire.

La possession de la seigneurie de Louvie-Soubiron qui incluait la fameuse mine de Baburet fut un des piliers de la puissance et de la richesse des Incamps puis de leurs héritiers, les Angosse, les plus connus des maîtres de forges de la vallée de l’Ouzom. Leurs successeurs, jusqu’à la Société des Mines de Baburet étaient encore, en 1963, propriétaires de la mine de Baburet et de 85 % du territoire de Louvie-Soubiron.

Le titre de maître de forges peut paraître pompeux pour désigner les propriétaires des moulines à fer ou forges à la catalane de la vallée de l’Ouzom et de sa voisine d’Ossau. Mais ces usines ont fait vivre mineurs, charbonniers, ouvriers des forges, transporteurs et artisans, par centaines. Et assuré, pour une part, la fortune des Incamps et des Angosse. Ces « maîtres de forges » étaient propriétaires des forges qu’ils faisaient « battre » en les affermant à des « fermiers » qui eux-mêmes en confiaient la gestion à un commis. Peu d’entre eux dirigèrent directement leurs usines.

Au cours des siècles, les premiers « seigneurs de Louvie », suivis de cinq générations d’Incamps et trois générations d’Angosse monopolisèrent peu à peu la production de fer en Ossau et dans la vallée de l’Ouzom en éliminant leurs concurrents par achat ou par contestation en justice de leurs droits et de leurs terres. Ils concentrèrent entre leurs mains les mines, les forges, les forêts, de vastes territoires et soutinrent d’innombrables procès avec les communautés pour préserver leurs droits et privilèges. Ils réussirent notamment, après la Révolution, à transformer leurs droits seigneuriaux de l’Ancien Régime en titres de propriété reconnus par les tribunaux.

Après la vente, en 1906, du domaine d’Angosse par Gabrielle d’Angosse, épouse du vicomte de Borelli, les acheteurs successifs s’inscrivirent dans la même logique. C’est ainsi que la commune de Louvie-Soubiron, en conflit avec les seigneurs de Louvie et leurs successeurs depuis 1407, ne réussit qu’en 1963 à racheter sur son propre territoire, les 2274 ha du domaine d’Angosse, sur une superficie communale totale de 2666 ha.

Les seigneurs de Louvie [1]

Cadastre de Louvie-Soubiron, tableau d’assemblage (1813)

La ferrere de Lobie – la forge de Louvie-Soubiron – était située en vallée de l’Ouzom, un peu en amont des Herrères d’Aucun (Ferrières à partir de 1790), au pied de la mine de Baburet, rive gauche de l’Ouzom. Or, cette rive gauche appartenait, depuis des « temps immémoriaux », le XIIe siècle probablement, aux seigneurs de Louvie [2]. Ceux-ci se prétendirent toujours propriétaires – et non pas seulement seigneurs – de la quasi-totalité du territoire de Louvie-Soubiron. Ils gagnèrent, depuis 1407, tous les procès que leur intenta la communauté de Louvie-Soubiron.

  • La seigneurie de Loubie existe, au moins, depuis le XIIe siècle.
  • 1512 : François de Loubie, seigneur de Louvie-Soubiron, sénéchal de Béarn, fait reconstruire la « ferrere de Lobie ».
  • 1534 : Jean de Loubie, seigneur de Louvie-Soubiron, ruffebaron [3] de Louvie-Soubiron, fils de François.
  • 1548 : Jacques d’Arros, neveu de Jean de Loubie.
  • xxxx : Henri de Louvie, fils de Jacques d’Arros.
  • 1590 : Henri de Rivière, seigneur de Lendros [4] , l’un des héritiers d’Henri de Louvie.
  • xxxx : Jean de Rivière, fils d’Henri de Rivière. C’est lui qui céda par contrat d’échange, en 1612, tous les droits des seigneurs de Louvie-Soubiron à Henri d’Incamps.

Les Incamps

  • 1588 : Antoine d’Incamps (1533-ca 1614), fait rebâtir la forge d’Asson et l’exploite avec le minerai de l’Arreulet.
  • 1612 : Henri d’Incamps, (1583-1628), fils d’Antoine, passe contrat d’échange avec Jean de Rivière : il échange le château d’Arudy contre les seigneuries de Louvie et Listo qui formèrent peu après la ruffebaronnerie de Louvie-Soubiron. Par cet acte il obtient, entre autres droits et possessions, la mine de Baburet.
  • ca 1625 : Louis d’Incamps-Louvie (1610-1689), fils d’Henri, fut fait marquis de Louvie-Soubiron. Il développa et modernisa les forges de la vallée de l’Ouzom : vers 1663, il fit remplacer les soufflets de la forge d’Asson par des trompes. À la même époque il fit construire, également avec des trompes, la nouvelle forge de Nogarot pour remplacer celle de Louvie. Il acheta en 1678 la forge du milieu que Jean Cosme de Claverie avait fait construire en aval des Herrères d’Aucun. Il eut de violents conflits et de nombreux procès avec les communautés d’Asson, de Bruges, de Capbis et de Louvie-Juzon qui contestaient ses droits seigneuriaux. On tenta, dit-on, de l’assassiner en 1660 et à nouveau en 1661 [5].

Ancienne église de Saint-Paul d’Asson, démolie en 1906

  • 1689 : Paul d’Incamps (1656-1735), fit construire à proximité de la forge d’Asson une chapelle dédiée à Saint-Paul [6], pour permettre aux travailleurs des forges de trouver sur place, sans se rendre à Asson, un service religieux – et aussi pour assurer le salut de son âme.
  • 1735 : Jean-François César d’Incamps (….-1772), fils de Paul, fit ériger en 1749, la chapelle de Saint-Paul en église, ce qui créa une nouvelle paroisse indépendante. Il mourut sans descendance. Or, sa sœur, Marie (ca 1690-1748), avait épousé en 1729, Étienne Germain d’Angosse (1693-1785), baron de Corbères [7], scellant ainsi l’alliance des deux familles. En 1772, c’est donc son neveu Jean-Paul d’Angosse qui hérita de ses biens, de ses titres, de ses droits et de ses procès.

Les Angosse [8]

Les Angosse poursuivirent l’œuvre des Incamps. Ils surent traverser la difficile période révolutionnaire au mieux de leurs intérêts, et en sortirent même renforcés, ayant obtenu que leurs droits seigneuriaux deviennent des titres de propriété. En 1825, ils contrôlaient totalement la production de fer dans l’est du Béarn.

  • 1772 : Jean-Paul d’Angosse (1732 -1798). Sénéchal et gouverneur d’Armagnac, marquis de Louvie. Il est peut-être le seul à avoir dirigé directement les forges, en tout cas pendant la Révolution. Il y fut secondé par son fils Armand pendant toute la période révolutionnaire. Il obtint la création de la communauté indépendante d’Arthez-d’Asson, accordée en 1787, malgré l’opposition d’Asson. Il eut à faire face à de nombreux conflits, avec Jean-Baptiste d’Augerot, propriétaire de la forge de Béon qui tenta de s’emparer de la mine de Baburet, avec les martineteurs de Ferrières, avec les autorités. Il entreprit la construction de la forge d’Isale, en Ossau.
  • 1798 : Armand d’Angosse (1776-1852) [9] qui fut le premier maire d’Arthez-d’Asson ; il dirigea les forges pendant quelques années, avant de les remettre, en 1809, entre les mains de son frère ainé Charles. Il se consacra alors à ses propriétés de Corbères et à ses fonctions de président du Conseil général des Basses-Pyrénées.
  • 1809 : Pierre Constant Charles Joseph d’Angosse (1774-1835), marquis d’Angosse [10], fils ainé de Jean-Paul d’Angosse. À la Révolution, il émigra en Espagne, puis au Portugal et rejoignit l’armée de Condé. Rentré en France en 1801, il se rallia franchement à Napoléon. Il fut nommé chambellan par Napoléon Ier, en 1806, comte d’Empire en 1810, préfet des Landes en 1811, préfet du Haut-Rhin pendant les Cent-Jours. Après la Restauration, il reprit son titre de marquis, puis fut nommé pair de France. Il racheta, en 1825, la forge de Béon.
  • 1835 : Casimir d’Angosse (1779-1838), comte d’Angosse [11], frère cadet d’Armand et de Charles. Après la mort de Charles en 1835, Casimir avait reçu la nue-propriété des forges et du domaine. Mais c’est Armand qui en avait l’usufruit et qui s’occupa à nouveau de la gestion des forges.

Les écuries du château des forges.

  • 1838 : Charles François Xavier Paul d’Angosse (1816-1873), marquis d’Angosse, fils de Charles. Mais c’est Armand d’Angosse qui continua à diriger les forges jusqu’à sa mort en 1852. Charles géra, ensuite, le domaine et les forges jusqu’à la fermeture définitive des forges en 1866. C’est probablement lui qui fit aussi construire les belles écuries du château. Il tenta ensuite de maintenir une certaine activité : vente de minerai de Baburet, resté sur le carreau de la mine et production de charbon de bois.

Après la fermeture des forges en 1866 [12]

La concurrence des fers et aciers provenant des hauts-fourneaux de l’industrie sidérurgique entraîna la fermeture des forges à la catalane dans toutes les Pyrénées. Ce n’était pas la qualité des produits qui était en cause, ni les coûts de production, mais les quantités de fer que l’on pouvait produire.

Une succession confuse de ventes et reventes précéda la création de la « Société des mines de Baburet » en 1926.

Le domaine d’Angosse (1928)

  • 1873 : Charles Gaston Pierre Casimir d’Angosse (1851-1888), à la mort de son père Charles. La succession de celui-ci, en 1875, laissa le domaine à sa sœur Gabrielle (1848-1927 ?), épouse du vicomte de Borelli (1837-1906),
  • 1875 : Gabrielle d’Angosse-Borelli tenta brièvement, en 1898, de reprendre une activité d’exploitation du minerai de Baburet. Elle vendit finalement le domaine à Mme Laquiante en 1906.
  • 1906 : Mme Laquiante, propriétaire à Paris.
  • 1911 : Léon Rochet, d’Oloron qui acheta la propriété le 8 mai pour la revendre le 1er juin.
  • 1911 : MM. Theys, ingénieur et Moselli, agent de change de Bruxelles.
  • 1919 : M. Lafargue, de Paris qui afferma la propriété à MM. Quentin et Gazin. Ceux-ci créèrent la société « Mines et Hauts-Fourneaux de Ferrières ». En faillite en 1922, après avoir entrepris quelques travaux à Baburet.
  • 1922 : La « Société anonyme des mines et fonderies de Baburet » associant Gazin et Cuvelier, ingénieur, mandataire de M. Quentin. Ils entreprirent la construction des bâtiments de la mine et le percement d’une nouvelle galerie, la 620.
  • 1923 : MM. Dutournier, banquier à Pau, et Bourgeois, rentier, d’Annemasse, rachetèrent à Lafargue le « domaine d’Angosse ». La « Société anonyme des mines et fonderies de Baburet » était toujours concessionnaire. Ils fondent la « Société anonyme des mines de Baburet ». Il s’ensuivit une série de procès mêlant les intérêts de tous les précédents propriétaires depuis Léon Rochet – qui se disait encore titulaire de la concession minière de Baburet.
  • 1926 : « La Société anonyme des mines de Baburet » obtient la concession de la mine, qu’elle exploita, avec de nombreux avatars, jusqu’en 1962. C’est elle qui construisit la voie ferrée minière.
  • 1963 : La commune de Louvie-Soubiron réussit de justesse à acheter les 85 % du territoire communal qui faisaient partie du « domaine d’Angosse ». Cet achat met fin aux conflits qui opposèrent la communauté à ses seigneurs puis aux propriétaires du domaine pendant 556 ans.

L’image mise en avant

Portrait de J-P. d’Angosse :  Ce portrait figure en couverture de l’ouvrage de Diane de MAYNARD. « La descendance de Jean-Paul marquis d’Angosse (1732-1798) », Éditions Christian, 1998, 112 p. © Diane de Maynard.

Notes

  • [1] Liste établie d’après J.B. Laborde, « La mine de fer de Baburet et les anciennes forges de la vallée de l’Ouzoum ». Le Patriote des Pyrénées, 28-30 juillet 1930. Voir l’article de J.B. Laborde sur le site.
  • [2] Ce plan date de 1813, il entérine des limites territoriales fixées depuis des siècles.Sur le plan cadastral napoléonien, on pourra noter les « fours de la mine de Baburet » et la « vieille forge de Louvie ». Montage de la feuille TA1 (tableau d’assemblage) réalisé d’après les images mises en ligne sur le site SIG 64 du Conseil général.
  • [3] En 1538, Jean de Louvie se présentait comme « premier ruffebaron du Béarn », c’est à dire le premier après les barons. Toutefois, ce ne fut qu’en 1615 que les deux villages de Listo et de Louvie-Soubiron furent conjointement élevés en ruffebaronnie. Cf. Paul Raymond, Dictionnaire topographique du département des Basses-Pyrénées, 1863, Paris, Imprimerie impériale, p. 105.
  • [4] Il s’agit d’un fief dont la localisation reste à déterminer. Ce n’est sans doute pas Lendresse. Lendros ne figure pas dans le Dictionnaire topographique de Paul Raymond, op. cité.
  • [5] Abbé Bonnecaze, « Histoire particulière des villes, bourgs et villages principaux du Béarn », Études historiques et religieuses du Diocèse de Bayonne, huitième année, 1899. Notice Asson, p. 8 et 78. Les attentats avaient été commandités, nous dit Bonnecaze, par la communauté d’Asson. Il n’y a pas de preuves de ces allégations.
  • [6] L’église de Saint-Paul d’Asson est celle qui figure sur la carte postale ; on peut en effet supposer qu’il n’y eut guère de transformations entre sa construction en 1690 et sa destruction, en 1906, quand elle fut remplacée par l’église moderne d’Arthez-d’Asson. Ce type d’église du XVIIe ou XVIIIe siècles se retrouve dans plusieurs villages de montagne.
  • [7] R. Ancely, La baronnie de Corbères et l’histoire de la vie d’un seigneur béarnais au XVIIIe siècle, Pau, Imp. commerciale des Pyrénées.
  • [8] Liste établie d’après Pierre Machot, L’industrie sidérurgique dans les Pyrénées occidentales (1803-1868), Thèse d’histoire, Paris I Panthéon Sorbonne, 2000.
  • [9] Voir aussi, dans Wikipedia, l’article de P. Machot, Armand d’Angosse
  • [10] Voir aussi, dans Wikipedia, l’article de P. Machot, Charles d’Angosse
  • [11] Voir aussi, dans Wikipedia, l’article de P. Machot, Casimir d’Angosse
  • [12] Liste établie d’après Émile Pujolle, « La mine de Fer de Baburet, de la fermeture des forges à la fin de l’exploitation minière (1866-1962) », Revue d’histoire industrielle, n° 1, 2006, Éditions Izpegi.

jeudi 4 août 2016 par Émile Pujolle

mise à jour 29 janvier 2023