Carte de Cassini, feuilles 108 (Pau) et 108 bis (Cauterets)

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De l’édition de 1779 à celle de 1815

La carte de Cassini est la première carte détaillée de la France à s’appuyer sur une triangulation permettant de relier tous les points du territoire dans un canevas géographique cohérent. La feuille de Pau fut publiée en 1779 et rééditée en 1815.

César-François Cassini de Thury (1714-1784), dit Cassini III [1], petit-fils du grand astronome Jean-Dominique Cassini (1625-1712), est le maître d’œuvre de la « Carte générale et particulière de la France ». La première feuille, celle de Beauvais, fut présentée au Roi et mise en vente le 15 août 1756.

Neuf ans plus tôt, en 1747, Louis XV avait confié au savant le levé d’une carte représentant le royaume. Il admira beaucoup la précision des détails et annonça à Cassini que le trésor royal ne pouvait plus aider l’entreprise. On constitua alors une association dont l’objectif était de permettre la continuation de l’œuvre par un soutien financier devant couvrir 20 % des dépenses [2].

La carte des triangles

 

Extrait de la la carte des triangles. Entre Pau et Tarbes. Exemplaire de la BNF. (Clic sur la carte pour accéder à la carte des triangles).

La réalisation de la carte de Cassini fut précédée d’opérations géodésiques rendues possibles par les progrès de la mesure du globe. En 1744, 3 000 points, connus d’après des observations astronomiques en coordonnées géographiques et reliés entre eux, formaient un « canevas géométrique », une vaste toile d’araignée sur laquelle allaient pouvoir s’accrocher les relevés de détail de la carte de France réalisée par César-François puis son fils Jean-Dominique, dit Cassini IV.

En 1746, César-François Cassini publia la « carte des triangles », dont le nom exact est « Carte qui comprend touts les lieux de la France qui ont été déterminés par les opérations géométriques » sous la forme d’une feuille de 141 x 126 cm.

Le levé des feuilles Pau et Cauterets

Ces deux feuilles couvrent le Béarn jusqu’à la frontière espagnole. Les feuilles 108 (Pau) et 108 bis (Cauterets) furent levées de 1771 à 1773, sous la direction des ingénieurs cartographes Moyset [3] et Flamichon [4], vérifiées en 1777 et 1778 par La Briffe Ponsan et Dufour de Montland.

La zone à couvrir, pour chaque carte, mesurait environ 40 000 toises d’est en ouest et 35 000 du nord au sud (à peu près 80 km sur 70) , dont les deux tiers en montagne. C’est une douzaine d’ingénieurs, accompagnés chacun d’un domestique qui parcoururent le Béarn et la montagne pour la levée de détail.

On définit d’abord un canevas secondaire d’environ 300 points répartis sur toute l’étendue de la feuille : c’étaient, en général, les clochers des églises et parfois des points remarquables du territoire qui formaient les sommets des triangles.

Graphomètre à pinnules réalisé par Philippe Danfrie vers 1597. Science Museum of United Kingdom

Formés aux opérations géométriques, les ingénieurs topographes partent sur terrain munis d’un graphomètre à lunettes [5], d’une règle, d’un compas, d’une lunette, d’une loupe et d’un rapporteur. Pour pointer, avec le graphomètre, les objets dont ils déterminent la position par des mesures d’angles, ils montent dans les clochers accompagnés par le curé ou un habitant du lieu, qui leur indique les noms des objets sélectionnés.

Graphomètre à deux lunettes de visée. Par Charles Adrien DUBOIS (1737-1777), vers 1760

Ils s’enfoncent dans les hautes vallées les plus reculées, jusqu’aux altitudes des hauts pâturages : la plupart des lacs de montagne figurent sur la carte. Ils réalisent en même temps des croquis du paysage et des formes de terrains, des esquisses de plans des rivières, des villages et des routes. De retour à Paris, ils calculent les distances entre les objets d’après les mesures angulaires qu’ils ont recueillies et, avant de repartir, ils déposent auprès de Cassini les registres contenant ces calculs, mais aussi les listes des toponymes écrits suivant l’« usage ordinaire », l’usage local. Avec tout ce que cela comportait d’erreurs dues à la mauvaise compréhension des accents du Béarn par des ingénieurs venus du Nord. Il s’y s’ajoutait quelques fantaisies topographiques [6].

Lac des Allias et Oueilles de Cabouzon. Carte de Cassini.  Extrait. Feuille 108. Gallica. (Clic sur la carte pour accéder à la carte 108).

Ainsi le lac des Allias, au dessus d’Arbéost est figuré avec une importance qui n’a aucune mesure avec la modeste mare [7] qu’il est en réalité. Et un chemin important relie Arrens à Arbéost. On peut imaginer que l’ingénieur cartographe s’est déplacé, à cheval, sur le terrain et a levé son itinéraire qu’il a représenté sur sa planchette mi-sentier mi-route, un lac pour la pause et d’autres levés pris du Piquet de l’Escoute.

Le guide, à sa demande, lui décrit et lui nomme le paysage, lui montre du doigt les brebis qui paissent en contrebas, dans les pâturages du cirque du Litor, las oelhas de cap d’Ouzom [8] que l’oreille parisienne aura entendu comme les oueilles de cabouzon. On peut imaginer l’ingénieur notant sur ses esquisses tous ces mots… sans les comprendre. Et c’est ainsi que les brebis de l’Ouzom devinrent un lieu-dit de la toponymie nationale [9].

L’établissement de la carte

La zone à couvrir mesurait environ 40 000 toises d’est en ouest et 35 000 du nord au sud (à peu près 80 km sur 70) , dont les deux tiers en montagne. Les campagnes de levés duraient environ six mois. À la fin de chaque campagne, de retour à Paris, les ingénieurs calculaient les distances entre les points visés et dressaient les minutes des cartes, à l’échelle d’une ligne pour 100 toises [10] (1/86400).

La suite du travail appartenait aux graveurs [11]. À partir des minutes, on gravait au burin [12] sur une plaque de cuivre de 90 x 59 cm qui servirait à l’impression. La plaque était donc gravée à l’envers, tant pour le trait géographique, que pour la figuration du relief et que pour les lettres. Le travail était vérifié par les cartographes. Il fallait environ un mois de travail pour graver un zone de 10 x 10 cm. Et toute erreur demandait un long travail de rectification. La gravure des deux plaques (celle de Cauterets étant beaucoup plus petite que celle de Pau) prit donc environ 5 ans.

En 1777, on tira les premières épreuves qui furent vérifiées sur le terrain en 1777 et 1778 par les ingénieurs cartographes La Briffe Ponsan et Dufour de Montland. Après corrections des plaques par les graveurs, la feuille 108 put être imprimée en 1779 et celle de Cauterets attendit 1781.

La figuration du relief

La carte des Cassini était destinée à représenter le territoire avec la position géographique exacte de tous les clochers et points importants. La réalisation d’un nivellement général, c’est à dire le calcul des altitudes des objets cartographiés était hors de portée des cartographes du XVIIIe siècle. Ce nivellement général fut effectué au XIXe siècle avec la réalisation de la carte dite d’état-major.

Sur la carte de Cassini, le relief est suggéré, de manière très visuelle, par des zones de hachures figurant les pentes et par des rochers figurant les pics et les escarpements.

Deux exemples qui montrent l’imprécision – et la fantaisie – de cette figuration : un pic du Midi d’Ossau ruiniforme, défendu par des bastions crénelés, en arc de cercle vers le val de Magnabaigt.

Pic du Midi d’Ossau. Carte de Cassini, feuille 108. Collection H.L.

Et surtout, le cirque de Gavarnie, avec sa brèche de Roland flanquée de tours moyenâgeuses, et aussi le lac glacé, source du gave de Pau.

Brèche de Rolland. Carte de Cassini, feuille 76. Collection H.L.

 

La mise en couleurs

Chaque feuille de cette première édition, une gravure imprimée au format grand aigle, fut tirée à 300 ou 400 exemplaires destinés à la vente. Les feuilles étaient vendues, soit en noir et blanc, soit rehaussées de couleurs. La mise en couleur était alors faite, pour chaque exemplaire, par des peintres coloristes qui ne connaissaient pas le terrain. Ils ajoutaient parfois leurs propres fantaisies à celles de la carte. Sur la carte de la vallée de l’Ouzom (collection de la BNF), on remarquera ainsi les hautes crêtes du Gabizos à la Latte de Bazen enjolivées de sapins. Le coloriste de la version conservée aux États-Unis (collection Hauslab-Liechtenstein) a été plus sobre.

Carte de Cassini, les sapins du Gabizos. Extrait feuille 108. Gallica.

À l’achèvement de l’entreprise, en 1785, certains acheteurs fortunés se rendirent acquéreurs de l’ensemble de la collection. Quelques hauts personnages obtinrent des versions coloriées de l’ensemble. La Bibliothèque nationale de France possède ainsi l’exemplaire dit de Marie-Antoinette : 163 cartes découpées et entoilées, rangées dans des étuis.

De la première à la seconde édition

La carte 108 fut révisée avant sa deuxième édition en 1815. Les modifications concernent uniquement les voies de communication. Après une révision des données sur le terrain, les graveurs corrigèrent et complétèrent la plaque. Sur les extraits ci-dessous, la ville de Nai (Nay) et ses environs.

 

Nay. Cassini, 108, coll. H.L., 1779

 

Nay. Cassini, 108, coll. BNF, 1779

 

Nay. Cassini, seconde édition, 1815

Sur la seconde édition (1815), on note la nouvelle route de Nay à Rebénacq établie entre 1779 et 1815. Elle figure toujours sur la carte de l’état-major . Cette route n’existe plus.

Consultation et téléchargement

 

CONSULTATION EN LIGNE

– GALLICA

La première édition, dans la version mise en couleur dite de Marie-Antoinette, est consultable sur le site Gallica de la Bibliothèque nationale de France dans des fenêtres de visualisation. La carte est présentée telle qu’elle est conservée, avec son entoilage.

Carte 108 (Pau), première édition coloriée

Carte 108 bis (Cauterets), première édition coloriée

La seconde édition, celle de 1815, est également consultable sur Gallica

Carte 108 (Pau), seconde édition, 1815

Carte 108 bis (Cauterets), seconde édition, 1815

 

– GÉOPORTAIL

L’ensemble des cartes de Cassini de cette première édition conservée à la BNF est désormais accessible sur le système d’information géographique Géoportail. L’EHESS (École des hautes études en sciences sociales) a reconstitué numériquement la carte complète, puis en a effectué le géoréférencement pour la rendre utilisable par un système d’information géographique tel que le Géoportail. Elle est ainsi superposable à d’autres données cartographiques (par exemple, les cartes de l’IGN consultables en ligne).

La carte proposée sur Géoportail est très contrastée – beaucoup plus que la version originelle de Gallica. La lecture en est moins agréable (disparition des hachures, par exemple).

Le site permet donc la superposition de la carte de Cassini et des cartes de l’IGN à partir de l’échelle 1/128 000. La superposition, satisfaisante globalement à cette échelle ne l’est plus à des échelles supérieures, le décalage pouvant atteindre plus d’un kilomètre. Les outils de navigation du Géoportail permettent alors de parcourir toutes les feuilles de la cartes de Cassini.

Des villages de Cassini aux communes d’aujourd’hui

Cette version a été réassemblée, en supprimant numériquement l’entoilage, sur ce site. On accède aux feuilles par l’intermédiaire d’une carte de France interactive, ou par une recherche par critères. Toujours dans une fenêtre de visualisation.

David Rumsey Map Collection

Ce site est, à notre connaissance, le seul à proposer une version complète et non mise en couleur de la première édition de la carte de Cassini. Cette version, gravée en noir et blanc, est conforme aux intentions des Cassini.

Carte 108 (Pau), première édition, 1771, en noir et blanc

Carte 108 bis (Cauterets), première édition, en noir et blanc

Ce site propose par ailleurs une très vaste collection de cartes historiques.


– Sur tous ces sites, on peut accéder à toutes les cartes de Cassini… et à bien d’autres.


LÉGENDE

Une légende de la carte est consultable sur le site de l’EHESS  ou sur celui du Géoportail

 

TÉLÉCHARGEMENT

Certains sites permettent le téléchargement complet – et gratuit – de la feuille souhaitée. Les fichiers téléchargés sont toutefois « lourds », et parfois complexes à visualiser.

Le Coin des Cartes Anciennes, d’une très grande richesse, permet d’accéder aux fichiers de la seconde édition conservée à la BNF. Les cartes ont été réduites à une taille de 5400 x 3600 pixels, pour des raisons d’accessibilité, mais leur « poids » reste conséquent, de l’ordre de 5 Mo. Les cartes sont consultables en plein écran et peuvent être enregistrées.

Carte108 (Pau), seconde édition, 1815

Carte 108 bis (Cauterets), seconde édition, 1815

 

Le site de la bibliothèque du Congrès des États-Unis, The Librairy of Congress, American Memory propose, dans sa section Maps le téléchargement de toutes les feuilles de la très belle édition coloriée dite « Hauslab-Liechtenstein collection ». Certaines feuilles alliant la très grande qualité de la gravure à une mise en couleurs remarquable sont de véritables œuvres d’art. (Voir, par exemple, la feuille Toulon).

On peut visualiser simplement les cartes ou en télécharger de remarquables images.

En téléchargement, les cartes sont proposées en très haute définition, environ 11000 x 7300 pixels. Les fichiers sont très lourds (12 à 20 Mo), sous format «.jpeg 2000» ou«.tif» (95 Mo).

Carte 108 (Pau), collection H.L.

Carte 108 bis (Cauterets), collection H.L.

Et le visualiseur figurée sur la « carte des triangles » qui permet d’accéder à toutes les feuilles.

 

– Voir un historique de la carte de Cassini sur le site de l’EHESS.

– Voir aussi, sur le site, les cartes anciennes.

Notes

[1] Voir aussi : César-François Cassini de Thury (1714-1784), sur le portail France Archives

[2] Voir un historique de la carte de Cassini sur le site « Des villages de Cassini aux communes d’aujourd’hui »

[3] Voir : Louis Moisset (1741-1827). Article de P. Machot, Wikipedia.

[4] Voir : François Flamichon (1750-1788). Article de P. Machot, Wikipedia.

[5] Le graphomètre est un perfectionnement de l’alidade. Il propose deux lignes de visée : l’une, fixe, permet de définir la « ligne des stations » de visée ; l’autre, mobile horizontalement, permet de repérer sur un demi cercle gradué l’angle entre la ligne des stations et le point visé. Mis au point par Philippe Danfrie en 1597.

Le graphomètre à lunettes du XVIIIe siècle est muni de deux lunettes à la place des alidades à pinnules.

Voir, sur le  site du Conservatoire numérique des Arts et Métiers : Philippe Danfrie. Déclaration de l’usage du graphomètre par la pratique duquel l’on peut mesurer toutes distances.

[6] L’ouvrage essentiel sur cette histoire est l’étude faite par la directrice honoraire du département des cartes et plans à la Bibliothèque nationale -de France :

Monique Pelletier. La Carte de Cassini. L’extraordinaire aventure de la Carte de France, Presses de l’École nationale des Ponts-et-Chaussées, Paris, 1990, 263 p. Réédité sous le titre Les cartes des Cassini : la science au service de l’État et des régions, Paris, Éd. du CTHS, 2002.

[7] C’ est sans doute le lac de Soum sur les cartes actuelles de l’IGN. La superposition – réalisable sur Géoportail – de la carte de Cassini et de l’actuelle carte de l’IGN montre également le décalage qui existe entre les deux cartes. L’erreur ici atteint un kilomètre.

[8] Las oelhas de cap d’Ouzom. À prononcer à la bigourdane. Ce qui se traduit, en français, par les brebis du haut de l’Ouzom

[9] On pourra s’amuser à rechercher d’autres fantaisies toponymiques sur la carte 108. Il y en a de savoureuses…

[10] Une toise contient 864 lignes. La toise étalon officielle avait été fixée en 1735. En système métrique, elle vaut environ 1,949 m.

[11] Aldring et Bourgoin jeune pour le trait, Moyset pour les lettres.

[12] Burin : outil utilisé en taille-douce pour réaliser des gravures à la ligne. Voir burin, Wikipedia

2 juin 2008 par Émile Pujolle, révisé  en juillet 2022