En 1512, le seigneur de Louvie (Louvie-Soubiron) fait reconstruire sa ferrere de Lobie par des forgeurs basques, au pied de la minière de Baburet. Les mineurs s’installent au Hougarou. En 1612, Henri d’Incamps, fils d’Antoine d’Incamps, achète la seigneurerie de Louvie et tous les droits qui s’y rattachent.

État actuel

La forge de Louvie est située sur le territoire de Louvie-Soubiron (Pyrénées-Atlantiques), rive gauche de l’Ouzom, près du « pont de Lafargue  [1] », à 1,5 km de Ferrières (Hautes-Pyrénées).

Les traces de la forge se réduisent à des restes de murs complètement arasés et à des amas dispersés de scories. Sur le plan cadastral de 1813, on repère la forge de Louvie en bordure de l’Ouzom et les trois fours de grillage du minerai, situés à l’entrée de la « galerie royale ».

Forge de Louvie. Plan cadastral de Louvie Soubiron, feuille 2


Ce plan est extrait du plan cadastral de Louvie-Soubiron (1813), feuille n°2 .

En 1813, le quartier Baburet comprend la forge de Louvie et ses trois bâtiments, les fours de grillage du minerai et la mine de Baburet dont la galerie est figurée sur le plan. Les divers chemins reliant la mine  – l’entrée de la galerie royale – à la forge de Louvie, à Nogarot, à Asson et à Louvie-Soubiron y sont également représentés. Ces chemins existent toujours – plus ou moins visibles sur le terrain.


Contexte historique

Les gisements de fer de la vallée de l’Ouzom, aux confins du Béarn et de la Bigorre, furent, dit-on, exploités « de la plus haute antiquité [2] ». L’ancien nom de « Ferrières-en-Aucun », Herrariis, figure dans le cartulaire de Bigorre au XIIIe siècle [3]. Cette appellation, liée au fer, indique l’existence d’une ancienne exploitation. (du latin : ferrarius, qui concerne le fer).

Très récemment, des indices pouvant remonter à l’Âge du Fer ou à l’époque romaine ont été repérés sur les anciens ferriers proches du gîte de la mine[4].

La reconstruction de la forge de Louvie en 1512

La première forge dont l’existence soit certaine est la « forge de Louvie » ou « forge de dessus », située, dans la haute vallée de l’Ouzom en amont de Ferrières sur la rive gauche – béarnaise – de l’Ouzom, en contrebas de la « mine de fer de Louvie » (nommée « mine de Baburet » à partir du XIXe siècle).

Le 3 avril 1512, François [5], seigneur de Louvie (Louvie-Soubiron), passait un accord avec Johont Picabe de Lisague et Sancho Daguirry Darosilh du pays d’Espanhe [6]. Ceux-ci promettaient de far la ferrere tant de ferrements que de fuste et la maison ou se fara lo foec et ou seran los barquis. Ils pouvaient s’aider des ferrements qui son en la dite ferrere.

Cette mention des ferrements qui sont en la dite ferrere laisse supposer qu’avant la signature du contrat il existait déjà, en cette endroit, une ferrere plus ancienne. S’agissait-il d’une forge à bras ? Ou, plus probablement, d’une mouline à laquelle le site était particulièrement adapté ? La brièveté des délais accordés pour exécuter le contrat, deux mois, montre aussi qu’il ne s’agissait sans doute que d’une remise en état, ou d’une transformation.

Les « Espagnols » avec qui François passait contrat portaient des noms à consonance « basque ». Venaient-ils reconstruire une forge à bras ou, plus probablement, établir ou rétablir une mouline à fer ? « Ferreria » transcrit ici en « ferrere » était le terme utilisé en Guipuzcoa précisément pour désigner une forge dont le marteau était actionné par une roue hydraulique. Le contrat précise lo foec (le feu, le foyer ou bas-fourneau), il s’agit d’une forge à un feu, donc d’une forge de réduction directe. Quant au terme barqui (soufflets) il peut désigner aussi bien des soufflets à bras que des soufflets actionnés par l’eau. L’acte précisait aussi le terme de fuste, (charpente, pièces de bois) : il peut s’agir des pièces nécessaires au marteau (les ferrements) ou aux barquis, donc d’éléments essentiels au fonctionnement, peut-être ceux de roues hydrauliques.

L’emplacement de la forge de Loubie, à proximité du confluent de l’Ouzom et du Laussiès, en bordure de rivière et les indications tirées de l’acte de 1512, plaident pour l’existence d’une forge à eau de type ferreria basque, succédant peut-être à une mouline.

L’acte de 1512 ne permet pas de conclure de manière absolument certaine. La ferrere fut affermée à Laurent de Bergara. On peut noter là aussi, une assonance « basque » ; Bergara, au cœur du Guipuzcoa était un centre sidérurgique important célèbre avant le XVIe siècle, pour la qualité de ses productions. En 1548, Laurent de Bergara était toujours présent, et devenu vesin de Nay, c’est-à-dire nouveau citoyen de cette petite ville. L’acte qu’il signa, le 6 août 1548, avec Bernard d’Arros [7], le redouté capitaine de Jeanne d’Albret, apporte une précision essentielle sur lo tot aperat corement la ferrera de lobie (l’ensemble appelé couramment la ferrere de Loubie) comportant  mine, ferrarie, moulin. La forge de Louvie est donc bien munie d’équipements hydrauliques (une ou plusieurs roues).

Un autre acte, signé le 22 avril 1518 entre Monssignor de Loubie et Laurent de Bergara [8], est la preuve d’une activité certaine de la forge de Loubie : il promettait des livraisons de fer à Lourdes, Tarbes, Oloron et Morlaas.

Le remplacement de la forge de Louvie par celle de Nogarot (1663)

Vers 1660, Louis d’Incamps (1609-1689), petit-fils d’Antoine d’Incamps, entreprit de transformer la forge d’Asson en la munissant de fourneaux et trompes du pays de Foix, la transformant ainsi en forge que l’on appellera plus tard (vers 1775) forge à la catalane. C’est au même moment qu’il remplaça la forge de Louvie par une nouvelle installation, plus bas dans la vallée : la forge de Nogarot.

Une forge telle que celles d’Asson ou celle de Louvie était, jusque là, une mouline à fer, munie de soufflets (ou barquis) et d’un marteau actionnés par des roues hydrauliques. La méthode utilisée pour réduire le minerai en fer par la méthode directe était très certainement celle de la forge à la biscaïenne ou de la forge basque, comme l’indiquent les documents du XVIe siècle précisant les noms de forgeurs, de patronymes basques, ayant travaillé dans les forges de la vallée de l’Ouzom.

Or, depuis 1630, la méthode utilisée dans les Pyrénées évoluait : l’introduction de la trompe hydraulique, venue d’Italie et la modification du foyer de réduction avaient permis de diminuer les coûts d’entretien et d’augmenter le rendement des opérations. La trompe hydraulique est bien moins coûteuse et bien plus facile à entretenir que des soufflets avec leur roue hydraulique, leur système de cames et surtout les très coûteuses peaux de bœufs, spécialement apprêtées qui les habillaient. Le nouveau foyer – ou bas-fourneau – qui lui était adjoint se révélait plus performant que le foyer biscaïen.

Louis d’Incamps fit appel en 1662 ou 1663 à des forgeurs et des maîtres du « Pays de Foix », pour transformer ses forges. Cette date est précisée par la procédure de 1664 contre les meurtriers de l’abbé de Sauvelade. Peu auparavant, les forgeurs basques avaient été renvoyés et les spécialistes des soufflets, les barquiniers, s’étaient retrouvés au chômage. Les trois frères Bartouille, barquiniers, d’Asson étaient parmi les seize inculpés. Lors de son interrogatoire, l’épouse de l’un des barquiniers précise : « il [son mari, l’ainé des frères Bartouille] dit qu’il s’en allait en Espagne, vers les forges de Biesque ou Riesques [9], pour y travailler quelque chose, le sieur de Loubie ne lui donnant plus de l’emploi depuis qu’il se servait des trompes au lieu de soufflets » [10].

La forge de Louvie ne fut donc pas reconstruite sur place, au pied de la minière de Louvie, en amont du hameau de Ferrières d’Aucun, mais une lieue en aval, sur la rive gauche de l’Ouzom, à l’entrée des gorges. Il est possible que ce déplacement ait eu plusieurs causes :

  • Choix d’un emplacement, le long de l’Ouzom, ou le débit de la rivière était plus abondant et plus constant tout au long de l’année : entre la forge de Louvie et le nouvel emplacement, l’Ouzom reçoit deux affluents, le Hougarou et le ruisseau de Lastètes qui doublent largement son débit. Les trompes employées pour la soufflerie consomment, en effet, beaucoup plus d’eau que les soufflets.
  • Le nouvel emplacement est au pied même du Bois des Forges, sur le territoire de Louvie-Soubiron qui appartient aux Incamps.
  • L’emplacement était « stratégique » : à peu près au milieu de la vallée entre la forge d’Asson et la mine de Baburet, à une lieue de l’une et de l’autre, il ne laissait guère de latitude à un éventuel concurrent qui aurait voulu s’installer sur la rive droite de l’Ouzom.
  • Enfin, les transports du minerai de Baburet vers les deux forges d’Asson et de Nogarot était simplifiés, puisque les deux forges étaient désormais desservies par le même chemin.

Le martinet de Louvie

Dès lors (1663), la forge de Louvie ne servit plus que de martinet [11] et d’atelier pour les outils des mineurs de la mine de Baburet toute proche.

Plus tard, au XIXe siècle, ce n’est plus que le logement des maîtres mineurs et des gardes forestiers des marquis d’Angosse.


Voir : Un émigré rouergat en vallée de l’Ouzom, François Deltel, garde-bois


Notes

[1] Lafargue : de l’occitan farga (prononciation fargue), mot qui désigne plutôt, en Béarn, une forge où l’on produit du fer. Il s’agit bien du « pont de la forge ».

L’atelier du forgeron (haur) est préférentiellement dénommé harga ou horga (pron. hargue, horgue).

[2] Une exploitation du minerai de fer de Baburet est évoquée dès l’Âge du Fer. Cf. D. ROUX, Protohistoire des piémonts pyrénéens : la transition Âge du Bronze-Âge du Fer et les phases anciennes du premier Âge du Fer entre Garonne et Èbre, p. 256-257.

Le travers-banc de la mine de Baburet a été attribué, sans preuves, aux « Romains ». Cf. Bernard de PALASSOU, Essai sur la minéralogie des Monts-Pyrénées, 1784, Paris, Didot jeune, p. 122

[3] Paul RAYMOND, Dictionnaire topographique du département des Basses-Pyrénées, 1863, Paris, Imprimerie impériale. Réédition, Ekaina, Bidart.

[4] Argitxu Beyrie et Éric Kammenthaler. « Inventaire des sites miniers et métallurgiques de la vallée d’Ossau », Archéologie des Pyrénées Occidentales et des Landes, tome 26, 2007, Dax Imprimerie, p. 88. Voir l’article Baburet et Asson.

[5] François de Béarn, sénéchal du Béarn et seigneur de Louvie Soubiron. Mort en 1531.

[6] A.D.Pyr.-Atl, E 1982, Notaires de Nay, 3 avril 1512, bail de la forge de Louvie, f° 35.

[7] A.D.Pyr.-Atl, E 1726, Notaires de Nay, 6 août 1548, bail de la forge de Louvie, entre Bernard d’Arros, agissant au nom de son neveu, Jacques d’Arros, f° 88 et sq.

[8] Archives départementales des Pyrénées-Aytlantiques, E 1720, Notaires de Nay, 22 avril 1518, engagement de Laurent de Bergara à fournir certaines quantités de fer, f°195 verso et sq.

[9] Probablement : Biescas, en vallée de Tena, prov. de Huesca, Espagne.

[10] Abbé Bonnecaze, « Variétés béarnaises. Précis des transports et informations faites sur l’assassinat et la mort du sieur de Bouyer, prêtre, abbé de Saubalade », Bulletin de la société ses sciences, arts et lettres de Pau, IIe série, tome 34, 1906. p. 34

[11] Baron de Dietrich. Description des gîtes de minerai, des forges et des salines des Pyrénées. p. 388 à 390.

6 janvier 2008. Révisé 18 juillet 2022. Émile Pujolle