Question de graphie…
Balade dans les documents et les cartes

Nous utilisons sur notre site, tantôt la dénomination Ouzoum, tantôt celle d’Ouzom, selon les rédacteurs des articles. Il n’y a, ici, qu’une question d’écriture. Pour tous, le nom de la rivière qui longe ou traverse les territoires d’Arbéost, Ferrières, Béost, Louvie-Soubiron, Louvie-Juzon, Arthez d’Asson, Asson et Igon, se prononce, à peu près, « ouzoum », en faisant plus ou moins entendre le « m » final.

« La rivière l’Ouzom »

C’était la dénomination officielle qui figurait, en 2008,sur la base de données du Service d’administration nationale des données et référentiels sur l’eau (SANDRE). En 2017 on a Ouzom.

Pour l’Institut géographique national (IGN) et tous les services officiels, c’est plus simplement l’Ouzom.

Cette dénomination s’applique de la source à l’embouchure dans le Gave de Pau, pour une longueur de 33,3 km. Le Sandre place, par cette longueur, la source de la « rivière l’Ouzom », bien au dessus des sources de « Cap d’Ouzom [1] ; ces sources de Cap d’Ouzom, au pied des parois du cirque du Litor, sont habituellement considérées comme les « vraies » sources de la rivière par les gens du pays.

Les linguistes font dériver ce nom de l’hydronyme pré-romain « Ousse » signifiant tout simplement « eau » ou « rivière » dans une large zone de l’Aquitaine [2]. On peut aussi noter que la « rivière Ouzom » est une de ces rares « grandes » rivières du bassin du Gave de Pau qui ne soit pas devenue un « Gave de… », comme le Lavedan est devenu le Gave de Pau (ou de Gavarnie), et le Saison, le Gave de Mauléon. Mais ce nom « Ouzom » n’est pas à prononcer « à la française ». Il se prononce plutôt «  ouzoum  », le « m » final étant plus ou moins fortement prononcé, selon les locuteurs. Il s’agit, en fait de faire ressortir la nasalisation du son « ou » final. En utilisant l’alphabet phonétique international on écrit « uzũ », le « u » représentant le son « ou » du français et « ũ », un « ou » nasalisé, dans lequel on ne devrait pas vraiment entendre le son « m » que l’on a pourtant tendance à prononcer. C’est en transcrivant « à la française » cette prononciation que l’on écrit souvent « Ouzoum ».

D’où vient cette graphie officielle Ouzom ?

La graphie officielle est donc ambigüe, mélange des écritures « ou » et « o » (à prononcer toutes les deux « ou »).

Que trouve-t-on dans les documents ?

Consultons d’abord le « Dictionnaire topographique du département des Basses-Pyrénées » de Paul Raymond [3] :

Paul Raymond avait collecté les dénominations rencontrées dans les documents conservés aux Archives départementales des Basses-Pyrénées. Toutes les formes rapportées – sauf la dernière – utilisent la transcription habituelle à l’écrit du béarnais à cette époque : le son « ou » était transcrit par la lettre « o ». La nasalisation du second son « ou » est notée par un « n », sauf dans un cas ou on a utilisé un « m » (1538). Nous pouvons ajouter à cette liste « l’aygue de Loson [4] », cette eau de Loson, qu’Antoine d’Incamps put utiliser pour faire battre à nouveau la forge d’Asson.

Rappelons que le Béarn fut rattaché à la couronne de France en 1620 par Louis XIII et que, dès lors, l’édit de Villers-Cotterêts [5] imposait l’usage du français dans les actes officiels. L’édit royal précisait toutefois que cette union se faisait avec réserve expresse de leurs fors droits franchises et immunités qui seront inviolablement gardés et observés. Une partie des actes juridiques continua, ainsi, d’être rédigés en béarnais jusqu’à la Révolution française, avec beaucoup de confusions entre les deux langues.

Paul Raymond a choisi, en 1863, pour son dictionnaire, la dernière graphie Ouzon, la plus tardive de sa liste, tirée de la réformation de 1675. Pourtant, cette graphie Ouzon dérogeait à l’habitude puisque le premier son « ou » est représenté, comme en français par la notation « ou ». Elle est probablement due à un rédacteur de langue française.

Mais au même moment (1865), Louis-Antoine Lejosne, dans le Dictionnaire topographique du département des Hautes-Pyrénées [6] choisissait Ouzoum.

La confusion est la même dans les documents écrits du XIXe siècle et du XXe siècle, confusion entretenue par les cartes qui font référence.

Et sur les cartes ?

La première carte signalant explicitement la rivière par son nom est celle de Nicolas Sanson en 1650, qui nomme la rivière « Lazon ». Cette forme aberrante est soit une faute du dessinateur de la carte, soit due à une mauvaise compréhension d’un vocable béarnais par un auditeur français.

La graphie de 1675 est reprise avec une variante – fusion de l’article et du nom – dans la carte de Cassini (1779) : « Louzon ». On entérine ici, une graphie bizarre, ni béarnaise, ni française : le premier son « ou » est noté « ou », comme en français et le second « o », comme en béarnais. La nasalisation continue à être signalée par la lettre « n » finale. On retrouve ce « Louzon » sur la carte du Département des Hautes-Pyrénées publiée en 1792 dans le cadre de l’Atlas national décrété par la Convention, puis sur diverses cartes dessinées à partir de la carte de Cassini.

La confusion règne ensuite dans le cadastre napoléonien. Sur celui d’Arthez-d’Asson (1826), apparait « l’Ouzom », tandis qu’à Asson (1826), Igon (1845) et Louvie-Juzon (1836) on écrit « Louzom »,

mais sur celui de Louvie-Soubiron (1813), on écrit Louzoum sur la feuille A1, mais Louzom sur le tableau d’assemblage…

et sur celui de Béost (1814) « l’Ozon » !

On note une tendance à noter par un m la nasalisation terminale… mais on écrit différemment les deux sons « ou ». Les seules écritures logiques sont Louzoum avec deux sons « ou »,  écrits « à la française » et l’Ozon, « à la béarnaise », comme sur les documents anciens.

Curieusement, on voit apparaitre au XIXe siècle la graphie « Lauzom » (1850, carte d’état-major) qui fait totalement disparaitre la prononciation réelle, si on lit le nom « à la française ». On la trouve sur toutes les cartes d’état-major ou du Ministère de l’intérieur, comme, par exemple, cette carte au 1/200 000 de 1930.

Cette graphie Lauzom perdure jusqu’à l’établissement des nouvelles cartes de l’IGN, en 1954. Mais elle est encore utilisée en 1958, par exemple, dans le rapport de Gilles Bertraneu, sur la mine de Baburet pour le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM).

Ce n’est qu’en 1954, sur la nouvelle carte de l’IGN, remplaçant les cartes d’état-major en hachures – carte dite modèle 1922 – qu’on voit resurgir la graphie « Ouzom ». Cette écriture avait pourtant été utilisée en 1944 par J. Defos du Rau dans son article « la vallée de l’Ouzom ».

 

Qu’en conclure ?

L’appellation officielle contemporaine est donc « OUZOM ». Mais il n’y aurait que deux graphies cohérentes :

« Ouzoum », « à la française »

ou « Oson », « à la béarnaise » selon l’ancienne écriture du béarnais – qui est d’ailleurs celle maintenant préconisée par ceux qui écrivent le béarnais en orthographe normalisée. Les deux « o » représentent le son « ou » et le « n », la nasalisation.

Pour nos articles, nous continuerons à utiliser les deux graphies Ouzom (l’officielle) et Ouzoum (à la française), en nous réservant Oson pour des articles en béarnais.

Notes

[1] La source ainsi définie est au dessus de la cabane de Larue, vers 2020 m d’altitude.

[2] Michel Grosclaude, « L’hydronyme Ousse », Dictionnaire toponymique des communes du Béarn, Escòla Gaston Febus, Pau, 1991, p. 390.

[3] Paul Raymond (1833-1878) fut archiviste départemental des Basses-Pyrénées de 1857 à 1877. Il fut alors nommé secrétaire général de la préfecture des Basses-Pyrénées.

[4] Voir l’Acte d’affièvement de la ferrarie d’Asson à Antoine d’Incamps (1588)

[5] Ordonnance 188 du 6 août 1539 (ou « ordonnance de Villers-Cotterêts ») prise par le roi François Ier imposant l’usage du français dans les actes officiels et de justice.

[6] Louis-Antoine Lejosne, Dictionnaire topographique du département des Hautes-Pyrénées. Rédigé en 1865. Imprimé à Pau, 1992, sous la direction de R. Aymard.

12 mai 2008. Émile Pujolle